Le trading haute-fréquence est-il une révolution ?

En économie, on parle du marché comme d’une boite noire, sans réellement entrer dans les détails des interactions entre offre et demande, ou parfois on parle d’un commissaire-priseur chargé d’annoncer les prix de manière à atteindre l’équilibre entre offre et demande.

Sur les marchés financiers illiquides, le teneur de marché (market maker) a pour but de fournir une contrepartie aux vendeurs et aux acheteurs. Celui-ci se rémunère sur l’écart entre le prix d’achat (bid) et le prix de vente (ask) de l’actif, mais peut aussi parfois choisir de tenir des positions contraires et ainsi empocher le montant de votre perte (ou inversement, perdre le montant de vos gains).

DE LA CRIÉE À L’ÉLECTRONIQUE

Depuis les années 80, les marchés sont passés d’un système de cotation à la criée à un système de cotation électronique1. Cela a permis, quelques années plus tard, l’émergence d’un tout nouveau type d’intermédiaire de marché, ce ne sont pas des banques ni des entités travaillant pour les places boursières. Ils travaillent pour des hedge funds et on les appelle “high-frequency trader” (HFT). Pour résumer, ils utilisent des algorithmes informatiques leur permettant de traiter des écarts (spread) infinitésimaux sur des horizons temporels eux aussi infimes.

Budish, Cramton, et Shim2 ont écrit un article intéressant sur le sujet, dans lequel ils comparent le S&P500 et le S&P500 futures (le marché à terme du S&P500). Normalement, tous les deux doivent être parfaitement corrélés et c’est le cas sur presque tous les horizons temporels, sauf sur celui des HFT. Effectivement, à 250 millisecondes d’intervalle la corrélation disparait. Cela démontre une inefficience de marché dont les HFT sont à l’origine.

HFT - Maturation Difference

DE MEILLEUR “SPREAD” POUR LES INVESTISSEURS

Du point de vue de l’investisseur, les HFT sont plutôt une opportunité, ils ont réduit le fameux bid-ask spread, c’est-à-dire le coût pour l’investisseur. Une étude sur l’introduction d’une taxe sur les HFT sur le marché canadien a montré que cela avait fait augmenter le bid-ask spread de 9%, mais cela reste finalement assez faible lorsque l’on compare cette augmentation aux gains engrangés : en 20 ans, on est passé d’un spread de 90 points de base à 3 points de base aujourd’hui (soit une baisse de 330%).

Il est pour l’heure assez difficile de dire si réellement le trading haute fréquence est globalement une bonne chose ou non. Mais, on peut dégager un certain nombre de désavantages au développement des HFT.

LES LIMITES DU TRADING HAUTE-FRÉQUENCE

“MARKET MAKER” OU “MARKET TAKER”.

Imaginons que vous soyez flash3, que vous couriez aussi vite que la lumière et que vous voudriez utiliser ce don hors du commun pour vous faire un peu d’argent. Vous décidez alors d’aller à Disney Land et dès lors qu’un groupe important de personne se met dans une queue pour une attraction, vous vous placiez dans la file avant eux, achetiez tous les tickets disponibles et que vous revendiez vos places ensuite un peu plus cher au groupe qui fait la queue derrière vous. Je vous l’accorde, l’exemple est un peu tiré par les cheveux, mais c’est un peu ce que font certains HFT, lorsqu’ils s’aperçoivent qu’un ordre plus ou moins important s’apprête à être passé, ils rentrent dans la file du carnet d’ordre, achètent et vendent l’actif visé de telle sorte à faire grimper le prix et empocher la différence. Le problème vient du fait qu’ici, les firmes de trading haute fréquence n’apportent pas plus de liquidité ou un service au marché, mais par contre se retrouvent à prendre une part de la valeur de la transaction, c’est presque du «repas gratuit», et cela ne devrait pas être possible.

LA SELECTION ADVERSE

L’autre problème vient du fait que ce genre de phénomène a tendance à chasser les “bons investisseurs” moins tentés d’apporter de la liquidité sur les marchés où des HFT opèrent, c’est ce qu’on appelle la sélection adverse. D’autant plus, lorsque d’autres HFT sont présents sur un marché, leurs algorithmes se doit de prendre cela en compte et ils mettent en place des stratégies pour “battre” les autres robots en faisant du “spoofing”, cela consiste à émettre un ordre et à l’annuler avant son exécution. Ils se mettent aussi à prendre des paris sur le sens d’évolution du marché, ce qui l’éloigne de se sa fonction de “market maker”. Plus largement, cela a tendance à réduire la liquidité et augmenter la volatilité.

SOCIALEMENT DISCUTABLE

Les HFT sont plutôt contestés du point de vue du bien-être global. Tout l’argent investi pour gagner quelques millisecondes pourrait à coup sûr être mieux utilisé ailleurs. On peut dire la même chose des cerveaux qui développent ces algorithmes. Ce sont les meilleurs mathématiciens du monde qui travaillent sur des projets de “si petite envergure”, on peut que trouver cela triste.

Enfin pour conclure, taxer les transactions financières pour se débarrasser des HFT ne semble pas être la bonne solution, il suffirait de rendre leur utilisation impossible, en gardant les ordres passés secrets pendant un certain laps de temps ou en rendant les enchères non continues (les ordres peuvent être passés toutes les minutes par exemple). Ces deux méthodes pourraient permettre de bénéficier des avantages des HFT, sans avoir à faire face au désavantage.


NOTE :
(1) C’est pour cela que l’on appelle la bourse de paris CAC (Cotation Assistée en Continu), depuis les année 90 un nouveau système de cotation (NSC), aussi connu sous le nom de Supercac a été implémenté. Depuis la fusion entre NYSE et Euronext en 2007, c’est le système universal trading platform (UTP) qui est utilisé.
(2) The High-Frequency Trading Arms Race: Frequent Batch Auctions as a Market Design Response par Eric Budish, Peter Cramton, and John Shim (Dec 2013).
(3) Le personnage de comics.